Célébration de la farcidure

Le manger

 

"Co• be un boun cop de ped douna à la misere..."

(C'est bien un bon coup de pied donné à la misère).

L'homme a refermé son couteau, reculé le banc, vidé son verre de vin, repoussé son assiette sur le drap qui sert de nappe et ramené son chapeau de feutre sur le front... Le repas de communion est fini; les hommes vont voir les vaches, à l'étable.

"Aco d'atchi ra•, n'avon be fat un boun pide...."

(C'est pas pour dire, on a fait un bon "aise")

La fête est finie. La tête de veau, on l'avait achetée à la foire de Tulle; le vin, c'est un cousin qui en avait apporté quelques bouteilles : il avait un peu de vigne au Trescols de Monceaux, entre le soleil et la Dordogne.

Demain, on ferait maigre à nouveau.

Il y a quelque 100 ans, ce n'est ni l'école, ni le catéchisme qui avait enseigné aux simples gens qu'il fallait manger pour vivre et non vivre pour manger; c'était la grisaille de jours et la hantise de la disette. A défaut de manger, il fallait bien se nourrir et l'essentiel de la nourriture venait de la farine ou des farineux (Châtaignes, pommes de terre, haricots).

La farine? Vers 1850, en Corrèze, on en consommait - sous diverses formes certes - de 750 grammes à un kilo par jour et par personne... les bonnes années! essentiellement de la farine de seigle, lequel occupait 50% des surfaces cultivées. Il se consommait 3 fois plus de seigle qu'ailleurs en France... et 4 fois moins de froment (exceptions faites du Bas-Pays de Brive, des vallées et environs des villes o¯ les bourgeois pouvaient chauler les terres de leur campagne).

Dans les fermes ou les métairies, on pétrissait le pain dans la maie toutes les 3 ou 4 semaines; on chauffait le four et les 8 ou 10 tourtes - parfois mal levées, mal pétries, mal cuites - étaient montées au ratelier sous la travée enfumée. Au bout de 15 ou 20 jours, la croûte était dure et le pain moisi... Quand la farine se faisait rare, on ajoutait parfois des pommes de terre.

Dans les villes, les ménagères préparaient souvent le pain à la maison et le portaient au four du boulanger; les boulangers fournissaient à peine 10% de la consommation totale.

On mangeait le pain sec ou bien frotté d'ail (surtout le matin pour déjeuner), avec un peu de lard ou de salé, mais surtout taillé en tranches minces dans la soupe.

La soupe, c'était un rite et c'était un mythe. C'est la mère qui "montait" la soupe, qui la trempait, qui la servait; il fallait "manger de la soupe pour devenir grand", et devenir adulte c'était pouvoir "s'occuper de la soupe".

La soupe faisait l'unité des jours et de la vie : tout le monde en mangeait, enfants, adultes, vieillards, malades. Elle rassemblait la famille autour du père et sous le regard de la mère, debout.

On en consommait environ 2 litres par jour et par personne, mais il y avait soupe et soupe...

Prosa•que, pour tous les jours, elle se faisait à l'eau, avec un peu de graisse de porc, du pain, des légumes et du sel gris;

Thérapeutique, c'était la soupe de bouilli, au bouillon de viande;

Grivoise, c'était la soupe épicée qu'on servait à 3 ou 4 heures du matin aux jeunes mariés réfugiés dans quelque maison amie, en leur tendant un bâton et un couteau pour faire des encoches... à raison de leur ardeur;

Bourgeoise, elle "mitonnait" une heure ou deux devant le feu;

Spirituelle, elle se faisait aux oignons frits;

Consistante, bonne pour un scieur de long, elle se mangeait avec du lait, des châtaignes, des pommes de terre écrasées;

Masculine, mais à partir de la fin du siècle, c'était le "chabrol" avec une rasade de vin;

Enfantine, féminine, ce sera surtout après la guerre de 14, la soupe de café au lait.

...Et on dit encore "Vous resterez bien manger un peu de soupe de vermicelle".

Pour ménager le pain, les grands-mères faisaient les "tourtous" ou "bouriols", galettes de blé noir (de barbarie, dans la montagne) dont la pâte - eau, farine, levain - était mise à "garnir" (à lever) dans un récipient de bois, le "tinol", pas trop loin du feu, puis étalée, louche par louche, sur un large poêlon "adoubé" (huilé, graissé) avec un vieille couenne de lard ou un chiffon.

Avec la farine de blé noir, un peu de lait et parfois des pommes de terre écrasées, on faisait des bouillies mais peu prisées : "que minza de la pou, n'e jamai sadou" (Qui mange des bouillies, n'est jamais rassasié).

L'aubaine, c'était d'avoir un peu de farine de froment pour faire des pâtés à la Breueghel (pâtés de prunes, de pommes, de pralines, de viande à Mardi-gras) ou bien des clafoutis (ou "pilla•res") au moment des cerises, des "flognardes" de pommes ou de poires, mais surtout des "farcidures" pour manger avec le salé.

"Pour 8 personnes, vous prenez 20 grammes de levure de boulanger, un verre de lait, 3 oeufs, un verre ou 2 de crème fraîche - ce sera plus moufle -; vous mélangez le tout avec une livre de farine de froment, 500 g, afin d'obtenir une pâte assez dure qu'il faut bien travailler.

Laissez lever pendant 3 heures, dans un endroit tiède (sous un édredon, c'est idéal).

Coupez la pâte en 8 ou 10 boules et jetez les dans une marmite bouillante o¯ vous aurez à l'avance préparé un bouillon de salé.

Laissez cuire 20 minutes, sans découvrir...

Servir accompagné de salé de porc....et régalez vous."

Extrait de "Corrèze buissonnière", collection "Peuple et culture"